UNE ECOLE CORANIQUE
La Medersa Ben Youssef de Marrakech est d’une beauté si délicate et solennelle qu’elle impose naturellement recueillement et silence.
Il semble alors difficile d’imaginer, qu’il y a un siècle, des centaines d’étudiants (jusqu’à 900) s’y bousculaient, y vivaient et s’y égayaient bruyamment.
Le souffle de la jeunesse
Certes, la prière et l’étude devaient apaiser les esprits et la sévérité des maîtres contrôler les débordements.
Mais il s’agissait bien d’un lieu de vie où les jeunes esprits logeaient, mangeaient, révisaient leurs leçons mais aussi s’amusaient et se querellaient comme dans n’importe quelle résidence universitaire.
Après des études de base dans les écoles de leurs villes ou villages d’origine, les étudiants sollicitaient leur entrée à la prestigieuse Ecole Coranique Ben Youssef pour parachever leur formation et assurer leur avenir professionnel.
Outre l’enseignement religieux, on y dispensait des disciplines humanistes, philosophiques, littéraires, théologiques et scientifiques de haut niveau. Les garçons pouvaient y étudier pendant une dizaine d’années.
Aux heures de réjouissances, les pensionnaires pouvaient sortir dans la ville. Naturellement ils étaient intégrés à la vie du quartier et, à l’occasion, participaient à des événements festifs, des cérémonies officielles. Les habitants profitaient aussi de leur savoir et leur confiaient certaines tâches : lectures, copies, expertises leur permettaient alors de gagner quelques sous.
Le parcours très évocateur et émouvant au milieu de ce dédale de couloirs qui mènent aux chambres à l’étage permet à l’imagination de galoper.
Les voix, les cris et les rires du passé surgissent dans les esprits.
La Medersa Ben Youssef : comme un Oxford ou un Cambridge marocain ?
Agencées autour de sept petits patios, encadrés de balustrades en bois ouvragé, les cellules sont de dimension réduite.
Leur simplicité austère tranche avec le raffinement artistique et la sophistication générale de la décoration de l’ensemble. Seuls quelques privilégiés (les plus méritants ou les plus riches ?) pouvaient respirer un peu d’air frais par l’ouverture de leurs fenêtres, voire d’un petit balcon, donnant sur la grande cour.
D’autres petits rais de lumière absolument magiques pénètrent par de minuscules trouées dans les murs épais, toutes haut-perchées, de formes carrées, rectangles, en arc ou ovales.
Dans son ouvrage « Marrakech dans les palmes », paru en 1913, l’académicien et grand voyageur français André Chevrillon témoigne de sa visite à la Medersa :
« Mais en haut, à l’étage qui fait le tour du grand quadrilatère, la medersa s’est révélée vivante. Cà et là, dans le demi-jour d’une baie, on découvrait une figure de jeune clerc. C’est là qu’ils logent, les escholiers musulmans (comme jadis ceux de Paris, au Collège d’Harcourt, de Navarre ou de Normandie). Leurs cellules sont les mêmes où se formèrent, aux mêmes disciplines, les cheikhs célèbres, les Saints, dont les tombeaux se lèvent du côté de Bab Khemis et de Bab Armaat… En voici paraître toute une bande : silhouettes scolastiques, grands, pâles garçons, de mine creuse, et tous encapuchonnés. Ils vont et viennent autour du bassin, comme, en tous pays, les étudiants avant ou après un cours… »
Un sommet de l’art islamique
La Medersa tient son nom du Sultan Almoravide Ali Ben Youssef mais fut érigée par le Saâdien Abdallah Al Ghalib à la fin du XVIe siècle.
Le linteau au-dessus de la porte dit :
« J’ai été édifié pour la science et la prière par le prince des croyants, le descendant du sceau des prophètes Abdellah, le glorieux des créatures. Prie pour lui, ô toi qui franchis ma porte, afin que ses espérances les plus hautes soient réalisées. »
Avec une superficie d’environ 1700 m², des murs d’une hauteur impressionnante de 15 mètres, 130 chambres, une grande cour avec un bassin à jets d’eaux en bronze, une salle de prière à trois nefs, des colonnades d’une finesse remarquable, la Medersa Ben Youssef est non seulement la plus grande du Maghreb mais une véritable merveille d’architecture islamique.
Cet art atteint ici son plus haut niveau de technicité, agençant les plus nobles matériaux traditionnels que sont le cèdre de l’Atlas, les zelliges, les céramiques, le stuc, mais aussi le marbre blanc importé de Carrare. Les artisans et les artistes les ont sculptés, ciselés, peints, tournés, apposés, calligraphiés, incisés …avec leur savoir-faire incomparable avec le souci d’une harmonie quasi parfaite.
Ordonnance, justesse des proportions, évidence des lignes maîtresses : de tout cela naît l’impression de la grandeur.
Au-delà des siècles
Le quartier de la Medersa, proche de la Place Jemaâ el Fna, éternel coeur d’une activité trépidante, devait battre pour partie au rythme de cette vie estudiantine animée.
Le déclin et la déshérence de cette institution si renommée s’amorça à la fin du XIXe siècle jusqu’à ce que les portes monumentales ne se referment définitivement sur l’enseignement des savoirs.
Elle est aujourd’hui un joyau du patrimoine national, visitée et admirée par des voyageurs du monde entier et, en cela, continue sa mission de mémoire, de partage, d’ouverture et de tolérance.