On ouvre!
L’épicerie du quartier c’est un magasin, certes ! Mais c’est aussi un salon où l’on parle, un point de rendez-vous, un confessionnal. C’est, en fait, le centre névralgique du quartier! Quatre enfants attendent déjà l’épicier en trépignant d’impatience ! La porte métallique est fermée. Ils se tiennent devant la boutique, et le plus jeune d’entre eux décide de s’asseoir sur la petite marche en soufflant. Dans sa main deux pièces de monnaie. La grande sœur tient une petite bouteille de verre d’une marque de soda bien connue, qu’elle rapporte pour la consigne.
Enfin, le voilà, il arrive à vélo !
Bien sûr, il connaît tous ces petits qui l’interpellent bruyamment et crient son prénom « Hassan, Hassan ». S’agitant autour de lui, c’est à peine s’ils le laissent ouvrir sa boutique, retirer une chaîne et un cadenas et se casser en deux pour se faufiler à l’intérieur, derrière ce qui ressemble à un comptoir.
Au Travail!
Il siège maintenant, dressé plus haut que le niveau de la rue. Chacun des enfants y va maintenant de sa commande, parlant tous en même temps car le jeu consiste à se faire entendre et servir le premier par le maître des lieux. La sœurette gagne, récupère trois sous de consigne et choisit trois pains frais venus du four du quartier tout comme les morceaux de cake .
Le plus petit bout de chou grommelle enfin que sa maman veut une brique de lait, Hassan y ajoute un bonbon. Le sourire remplace la moue. C’est un peu un paradis pour les enfants. “Bimo” est le mot magique qui désigne toutes ces friandises et biscuits, ces barres chocolatées entassées qui les attirent avant et après l’école. Les quelques dirhams économisés sont vite dépensés.
Dans le même temps arrivent deux adultes : un jeune homme au pas lourd matinal et une femme en pyjama. Point besoin de coquetterie pour se rendre chez l’épicier, il est un intime comme un frère, un parent.
Le centre du monde!
Le centre de ce monde c’est le « hanout » ou « l’pisri ». L’endroit est exigu, minuscule, c’est le moins que l’on puisse dire. En réalité, c’est à peine si l’épicier peut bouger et pourtant il est à l’aise et se déploie, tourne, grimpe sur une échelle pour atteindre les hauteurs. On n’est pas loin du supermarché tant la boutique est achalandée. Vous y trouvez tout ce dont vous avez besoin pour l’usage domestique.
Une caverne d’Ali Baba
Ici, on peut tout acheter en quantités standard empaquetées ou minuscules. Les clients doivent pouvoir acheter à l’unité, en vrac, tous les produits. Un œuf frais ou cuit dur, une dose pour un thé à la menthe, un triangle de fromage qui rit, deux carrés de chocolat, une cuillérée de farine, un rasoir jetable, une cigarette, un chargeur de téléphone, une carte sim, même les échantillons de toilette (petits carrés de savons, dosettes de shampoing, mini-tubes de dentifrice) s’achètent. On peut aussi s’y faire préparer un sandwich. Thon, oeuf dur, fromage, mayonnaise…
Au long de la journée, le devant de l’échoppe est toujours occupé. Les clients s’y agglutinent, locaux et touristes, sans jamais faire la queue, les commandes se chevauchent, certains se racontent les potins du quartier et l’épicier entend tout, calcule, note les achats sur le cahier de crédit, encaisse et rend la monnaie avec ses douze mains !
Avant la vague suivante, il écoute les confidences du fils du voisin qui s’est disputé avec son père et lui demande des conseils…Un passant l’interpelle sans s’arrêter et lui demande s’il pourra livrer une bouteille de gaz tout à l’heure. Il n’a jamais vraiment d’instant de répit pour regarder l’écran de son mini téléviseur. L’épicier n’est pas qu’un commerçant, il joue aussi un rôle de lien social et familial. Il ne lui manque qu’une chose dans sa boutique, le divan du psychanalyste!
Il est quand même un moment où l’épicier pourra rentrer chez lui, très tard le soir, retrouver les siens, et faire de beaux rêves. A souhaiter qu’il n’ait pas besoin de compter les moutons pour s’endormir !