“Bahia”
La belle, la magnifique, la resplendissante, la brillante… Les qualificatifs évoquant grâce et beauté pourraient se multiplier. On retiendra la “Bâhiya”.!
Sans aucun doute, la favorite du grand Vizir Ahmed Ben Moussa (1841-1900) devait être d’une beauté incomparable pour que lui soit consacré et dédié le plus somptueux Palais de la ville en son temps. Elle devait avoir fort à faire pour trouver sa place au milieu de quatre épouses officielles et de 24 autres concubines du harem. Sans compter les innombrables enfants qui s’égayaient dans les jardins et la grande cour. On ne connaît pas son véritable nom mais il reste d’elle un parfum de mystère, l’amour qu’elle inspira à un puissant qui embellit pour elle ce Palais où son âme chemine encore.
Mythe ou réalité? Peu importe finalement. La légende plaît ainsi et l’emporte sur tout.
Ahmed Si Moussa
On a décrit le Vizir Ahmed Si Moussa comme ” un homme noir, petit et gros”. Entre 1894 et 1900, date de sa mort, il régna de fait sur le Maroc, après avoir intronisé “Sultan” son neveu, encore enfant. Lui ne brilla pas, contrairement à son amoureuse, entraînant le pays dans des voies périlleuses et des crises financières, ce qui le rendit plus dépendant des puissances étrangères impérialistes, comme la France, l’Espagne, le Royaume Uni…
C’est donc plutôt son parcours sentimental, sa quête d’idéal amoureux que l’histoire a retenu de lui!
Pour épater sa belle, il agrandit considérablement le Palais que son Père, le Grand Vizir Si Moussa avait érigé dans ce quartier sud est de la Medina de Marrakech. Pour parachever cette extension sur 8 hectares, il fit appel aux meilleurs artisans de son époque pour sublimer les cours successives, les patios, les chambres et salons, les jardins…
Sur les sols, les murs et les plafonds, les marbres de Carrare, les bois de cèdre, les zelliges, les stucs, les moucharabiehs, les vitraux de verre Iraqi se juxtaposent, se répondent pour créer la symphonie spectaculaire des lieux. Dans les jardins luxuriants et vergers, les fragrances se mêlent qui émanent des citronniers, des orangers, des dattiers, des jacarandas, des mesc-el-lil, des palmiers, des grenadiers, des jasmins, des hibiscus…
Aux plans assez cohérents du Palais originel, il ajouta de la confusion, accumulant les nouveaux espaces. Fort de 150 chambres, l’endroit devint quasi labyrinthique. A l’image des méandres du cœur et des circonvolutions amoureuses de son créateur?
Si Moussa
Père de Ahmed Si Moussa, descendant d’esclaves noirs, il franchit les étapes du pouvoir avant d’accéder aux plus hautes fonctions. C’est lui qui décida la construction de l’édifice dans les années 1866-1867. Si Moussa était le Grand Vizir du Sultan Hassan I, de la dynastie Alaouite, ancêtre du souverain actuel, Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Il choisit d’établir sa résidence à proximité des jardins de l’Agdal, du quartier de Riad Zitoun, du Mellah, des ruines du Palais El Badii et de la Kasbah. La Place Jemaa El Fna et la mosquée Koutoubia sont voisines également.
Il fit appel à l’architecte Si Mohammed El Mekki (1857-1926). C’est donc la partie la plus ancienne du Palais Bahia.
Le tracé de ce premier ensemble semble plus rigoureux et ordonné que l’imbroglio architectural des constructions plus récentes.
De cette première époque date la Grande Cour d’Honneur. Spectaculaire de par ses dimensions ( 50mx30m), son agencement et son style à “l’italienne”, peut surprendre le visiteur. La colonnade en bois, cannelée et très colorée vient heurter, mais avec bonheur, le style mauresque, l’unité orientale de la décoration générale. Les galeries donnent accès à quelque 80 pièces. A l’extrémité Est, une grande et magnifique salle, la Salle d’Honneur, porte une inscription 1896-1897, correspondant vraisemblablement à la date de la dernière extension du Palais. La Grande Cour faisait office de harem, les concubines et les enfants s’y réunissaient peut-être ou s’y dissimulaient derrière les panneaux moucharabiehs, quand des visiteurs prenaient part aux réunions dans les salles de conseil.
Portrait présumé du Vizir Si Moussa
Les années Lyautey
Après la mort de Ahmed Si Moussa, sous le règne du jeune Sultan Abd al-Aziz (1878-1943) le Palais fut, semble-t-il pillé à de nombreuses reprises. Sans doute, les domestiques, les épouses et concubines s’en donnèrent à cœur joie pour vider les lieux et emporter des souvenirs d’une époque heureuse?
A l’instauration du Protectorat Français , lors de sa venue en 1912, Le Maréchal Lyautey, résident Général de France au Maroc, découvre le Palais Bahia et le choisit comme résidence pour lui et quelques officiers. Il y établit ses appartements privés pour ses escapades à Marrakech.
Lyautey y fait des séjours fréquents et souvent à l’improviste. Quand il évoque cet endroit, décoré dans un goût anglais, il le nomme son “home”. Il fait installer l’électricité, le chauffage et quelques cheminées. Le résident et ses hommes occupent essentiellement la partie appelée petit Riad. C’est de ses bureaux qu’il suit également le dossier de l’aménagement de la ville nouvelle de Marrakech, Le Gueliz, confié à Henri Prost à partir de 1913. Il veille également à l’assainissement de la vieille médina, à sa restauration, à sa préservation et à sa cartographie. Les premiers plans sont établis. Des monuments seront nettoyés comme les remparts de la ville, découverts comme Les Tombeaux Saadiens, dégagés comme la Koutoubia. Il y reçoit aussi le Glaoui, le Caïd et d’autres personnalités de passage. Le Maréchal Lyautey nourrissait une passion et un respect formidables pour la culture du Maroc, son histoire, son patrimoine architectural, les arts et artisanats. Son rôle fut essentiel pour la protection des monuments historiques. Il décida également de l’ouverture au public du plus beau Palais de la ville de Marrakech dont il contribua largement au rayonnement international. Il consacra 12 années entières de sa vie à ce royaume chérifien qu’il adorait. Même après son retour définitif en France, et jusqu’à son dernier soupir, le 27 juillet 1934, le Maroc ne quitta jamais son cœur et son esprit!
Cinéma
En 1964 sort le film d’Henri Verneuil “Cent mille dollars au soleil”. Une scène d’anthologie est filmée dans la Grande Cour d’Honneur. Autour de la fontaine centrale Jean-Paul Belmondo et Lino Ventura s’échauffent et se bagarrent âprement. Pendant que les coups pleuvent et que les deux héros s’amochent salement, Bernard Blier s’égaye en compagnie de six belles créatures dans une des nombreuses chambres adjacentes. Lorsque Ventura surgit dans la pièce, Blier lui rétorque :”Oh ça ne va pas recommencer! J’ai droit à une vie privée! Allez va jouer dans ta cour, mon petit”. Du Michel Audiard, bien sûr!