Au royaume des cigognes
Ce ne sont que des ruines, oui mais quelles ruines ! Majestueuses, impressionnantes de grandeur ! Les murailles de pisé ocre se dressent, s’imposent, défiant les siècles. Aujourd’hui seules les cigognes les dominent, étendant leurs larges ailes pour leurs vols planés. Le silence des lieux n’est perturbé que par leurs claquements de bec. Dans les nids perchés, les cigogneaux attendent le retour au bercail de leurs parents !
Le bâtisseur
Face à l’esplanade immense, creusée de bassins et plantée d’orangers, il est difficile d’imaginer les bâtiments fastueux qui trônaient à cet endroit. L’édifice est construit à partir de 1578 par le Sultan Saadien Ahmed al-Mansour ad-Dahbi. Non loin, il fait ériger également les Tombeaux Saadiens, nécropole pour honorer ses ancêtres. Ahmed al-Mansour ad-Dahbi est le représentant le plus éminent de cette dynastie qui a régné sur le Maroc de 1549 à 1659. Les Sultans successifs étendent considérablement leur territoire et s’enrichissent grâce au commerce du sel, du sucre, de l’ambre, de la gomme arabique et des esclaves…

Ahmed al-Mansour ad-Dahbi
Marrakech devient leur capitale. A la fin du XVIe siècle leur puissance est à son apogée, le Palais Badiî en sera la vitrine somptueuse. Malheureusement, il est démoli à partir de 1696 sur décision du deuxième Sultan de la dynastie Alaouite (actuelle dynastie régnante). Moulay Ismaël (1645-1727), désireux d’effacer les traces du prestige des Saadiens, fera utiliser une grande partie des matériaux pour édifier sa cité impériale de Meknès. En revanche les Tombeaux Saadiens voisins, sont préservés, peut-être par superstition. Leur entrée est scellée, ils resteront cachés et ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’ils sont mis au jour.

Les Tombeaux Saadiens
Le Palais Badiî, inspiré de l’ensemble palatial médiéval de l’Alhambra de Grenade, sert de cadre à des réceptions, des fêtes. Les délégations étrangères, les ambassadeurs sont éblouis devant tant de magnificence. Les « pavillon de cristal », « pavillon des audiences », « pavillon vert » et « l’héliotrope » sont agencées sur les côtés de la grande cour centrale de 135 mètres sur 110. Un immense bassin, doté d’une fontaine centrale, l’agrémente. On ne compte pas moins de 360 pièces !

Plan de 1622. Mal intitulé “Palais Royal de Fès”
Marbres, mosaïques, onyx, stucs, or, faïence, bois sculpté ou peint, colonnes d’albâtre, sculptures, rivalisent de beauté. Les arabesques s’entrelacent de toutes parts.
Le déclin
Le Sultan bâtisseur et guerrier Ahmed al-Mansour ad- Dahbi meurt de la peste en 1603. Ses fils se déchirent pour sa succession. Ils seront proclamés Sultans, l’un à Marrakech, l’autre à Fès. C’est le déclin de la dynastie qui est entamé inexorablement. Désunion, désordre, assassinats caractérisent les décennies suivantes, “temps obscurs”, jusqu’à l’extinction des Saadiens en 1659.
L’arrivée de la dynastie Alaouite ramènera une certaine stabilité et la réunification du pays sous un pouvoir plus centralisé. Le Palais Badiî suscite bientôt la convoitise du Sultan Moulay Ismaïl. Ce souverain, deuxième de la dynastie, haut en couleurs, fantasque, décrit parfois comme cruel, prend le pouvoir pour 55 années de règne. Il se voit refuser la main d’une des filles de Louis XIV mais son ambition de construire « son » Versailles ne le quitte pas. Il vide le Palais Badiî de sa substance, de ses merveilles, et réutilise ses pierres, ses marbres pour faire édifier sa cité impériale à Meknès, ville qu’il choisit pour capitale.

Moulay Ismaïl
L’histoire en marche
Mais le Palais n’avait pas dit son dernier mot. Les vestiges parlent et peuvent même être bavards. Les ruines, que l’on parcourt aujourd’hui, sont en restauration perpétuelle et racontent encore la splendeur des lieux et leurs heures glorieuses. Dans la cour centrale, le long des bassins, dans les sous-sols, on ne peut s’empêcher de laisser divaguer son imagination…de rêver, de projeter, de reconstruire mentalement l’édifice gigantesque.
Quand, au détour d’une salle, on découvre un film et sa simulation en 3D de l’état d’origine du monument, on reste pantois ! La réalité dépassait de loin notre imagination la plus fertile ! Ces architectes avaient tout osé pour célébrer le pouvoir de leur souverain mécène.

virtuel Palais el Badiî ©Antonio Almagro LAAC, Escuela de Estudios Árabes, CSIC. Granada
On pense aux fêtes somptueuses dans les salles des pavillons, on entend les sons des instruments qui résonnaient dans ces murs, on devine les intrigues qui se nouaient dans les couloirs, on songe au temps qui passe, à l’histoire…
Un bruit interrompt nos divagations de l’esprit. Ah, oui, les cigognes ! On les avait presque oubliées ! Il est vrai qu’elles ont élu ici domicile presque fixe et continuent de claquetter imperturbablement. Leur progéniture continue de s’impatienter. Comme il y a 400 ans !